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Nouvelle rubrique à alimenter : premier apport de Mohammed BOURHROUS

 

Poussières d'Empires,

un livre de Nelcya Delanoë*

 

Les soldats marocains du Viêt Nam

Dans la série d'écrits sur la mémoire qui fleurit actuellement au Maroc, "Poussière d'Empire " de Nelcya Delanoë, paru chez Tarik , est un livre à part. Par son auteur d'abord, une Française, native du Maroc, et fille d'un homme connu au temps du protectorat pour ses positions en faveur de l'indépendance. Par le sujet qu'il traite également les soldats marocains qui ont servi au Viêt Nam sous le drapeau français, dont personne ne parle ni dans leur propre pays, ni en France. C'est au cours d'un colloque Paris, raconte l'auteur, qu'elle a entendu de la bouche d'un ami vietnamien, l'existence de soldats marocains qui ont déserté l'armée française pour rallier la résistance vietnamienne, avant de revenir 30 ans après dans leur pays. Sa curiosité excitée, elle décide de les suivre à la trace pour en savoir plus. C'est de leur histoire, et de leurs petites histoires qu'il s'agit dans ce livre , et que N. Delanoë a eu le mérite d'arracher à l'oubli . Non sans difficultés : celle de parcourir tout le pays à la recherche de vieux soldats anonymes, celle surtout de les faire parler, de remuer en eux des vieux souvenirs qu'ils se sont efforcés d'oublier depuis leur retour dans les années 70.
Pourquoi oublier ? La raison en est simple : ayant séjourné tant d'années au Viêt-Nam, pays qui inspirait quelques appréhensions à l'Etat marocain, alors sous la férule d'un Oufkir qui a lui-même servi là-bas, étant également des déserteurs de l'armée d'un pays ami, la France en l'occurrence, depuis leur retour au pays en 1974, ils se sont employés à développer une barrière de protection en se faisant oublier et en s'efforçant eux-mêmes d'oublier leur passé. Les faire revenir sur ce passé enfoui au fond de leur mémoire, on l'imagine, n'était pas un travail de tout repos. De plus, N. Delanoë relève que, par peur des représailles éventuelles de la part du régime -nous sommes encore dans les années de plomb- ils avaient développé une version de leur histoire qui, si elle ne suffisait pas à rehausser leur image à ses yeux, du moins les rendait plus acceptables. Ils expliquent par exemple leur désertion et le ralliement aux communistes par la déposition du roi Mohammed V en 1952 par les autorités coloniales.

Ce qui, d'après l'auteur, était vrai pour certains mais sans doute pas pour tous. Et puis, bien sûr, il y a les tares inhérentes à tout discours sur soi, à tout ce qui se rapporte à l'autobiographie où il est difficile de faire la part du vrai et celle du faux. Le mérite de N. Delanoë est d'avoir su tourner beaucoup de ces difficultés en s'armant de beaucoup de patience, et surtout en essayant de gagner leur amitié et leur confiance. Le résultat est édifiant.

Abdelaziz Mouride, journaliste.

* Nelcya Delanoë
L'auteur est écrivain et professeur d'histoire à l'Université de Paris X-Nanterre. Elle est l'auteur de nombreux livres, dont l'Entaille rouge, des terres
indiennes à la démocratie américaine (nouvelle édition Albin Michel, 1996) et Nanterre-la-Folie (Le Seuil, 1998).